lundi 21 décembre 2009

L’équilibre de la vie au travail : une source d’avantage concurrentiel

Les troubles musculo-squelettiques sont les 1ers troubles de santé, les plus répandus dans le milieu de travail, le stress n’arrive qu’en deuxième place. Même si un quart des salariés européens en souffre. Le phénomène est en augmentation, même s’il existe une divergence entre la perception de cette réalité par les salariés et par les responsables RH: 84% des salariés, en particulier dans les grandes entreprises, pense que le phénomène est en augmentation, alors que seulement 38% des DRH observent une augmentation de ces troubles. (Source : Baromètre IFOP « Santé au travail » réalisé pour le Groupe Malakoff-Médéric).

D’après l’INRS, l’âge moyen des salariés en inaptitude pour les problèmes «mentaux» est de 41 ans, alors que cet âge moyen est de 44 ans pour les troubles ostéoarticulaires et de 49 ans pour les troubles cardiovasculaires. Il est évident que cela a un coût important pour les entreprises et la société. Mais le coût direct est une sous-estimation du coût global pour l’entreprise. Car d’après lui, quand un « symptôme physique ou psychique dû à un problème de travail se déclare, cela indique l’existence d’un disfonctionnement organisationnel depuis un certain temps ».

La CNAM estime le coût du stress au travail entre 830 et 1650 millions d’euros, soit 10 à 20 % des dépenses de la branche accidents du travail/maladie professionnelle de la Sécurité sociale, ou bien presque 5% du grand empreint de 2009. Cela indique un « marché » potentiel pour éradiquer le stress dans l’entreprise d’au moins 800 millions d’euros en France. Si l’on estime à 20 millions d’euros le chiffre d’affaires des cabinets spécialisés dans ce domaine, cela signifie qu’il y a la place en France pour une cinquantaine de cabinets de plus ! Bonne nouvelle pour les entrepreneurs de conseil pour réduire le stress.

Mais les « gains » potentiels pour l’entreprise dépassent largement les 1650 millions d’euros. Remonter aux causes liées à l’organisation du travail, doit « libérer » l’organisation pour une meilleure performance. S’emparer de la problématique des risques psycho-sociaux, c’est aussi une opportunité de découvrir les sources des contraintes qui sont vécues comme étant paradoxales par les salariés. Cela implique nécessairement de remédier à des incohérences organisationnelles, ou bien les « lacks of alignment », qui se traduisent par une performance sous-optimale pour l’entreprise. Cette incohérence est aussi à l’origine d’une contrainte paradoxale pour le salarié, de choisir entre performance et sécurité, performance et conditions de travail, performance et qualité, sens du travail. Remonter aux causes liées à l’organisation du travail est une opportunité à la fois pour l’entreprise et pour les salariés.

Permettre l’expression des points de vue et susciter le dialogue social lors des changements dans l’entreprise qui peuvent affecter les métiers, le travail, la santé physique et psychique des salariés, serait alors aussi une opportunité pour améliorer la performance. Mais pour aller plus loin : « la stratégie de l’entreprise doit être déclinée de manière à permettre à chaque salarié de savoir pourquoi il fait ce qu’il fait ». Si c’était le cas, on n’aurait que des salariés en bonne santé dans des organisations saines et performantes, au sein desquelles les changements sont, non seulement expliqués en amont, mais largement accompagnés, et adoptés par les salariés qui y contribuent intelligemment. Cette approche doit être au cœur de toutes démarches stratégiques. Le développement de l’équilibre de la vie au travail participe largement à l’efficacité humaine, sociale et économique de l’entreprise.

mardi 15 décembre 2009

Nader Barzin, Psychanalyste et Sociologue des organisations

Compte rendu d'entretien suite à la conférence donné à l'Uniersité Paris 2 en novembre 2009 sur les risques psycho-sociologiques au sein de l'entreprise.

- Q: Il semble qu'il est de plus en plus difficile de nos jours de trouver un équilibre dans sa vie professionnelle. Quel constat faites vous aujourd'hui ?

- Nader Barzin: Ces dernières années, le travail a connu des transformations profondes dans son contenu et son organisation. Cela peut être imputé à plusieurs phénomènes. D'abord nous ne devons pas ignorer que la globalisation et "une concurrence sans frontière" peuvent parfois imposer une pression difficilement supportable sur un certain nombre d'organisations. La développement des nouvelles technologies d'information et de communication contribue à accroître cette pression. Il y a aussi une recherche de nouveaux modes de gestion avec des approches de production individualisés pour un fonctionnement optimal, et de réduction des coûts. Ces transformations sont en quelque sorte inévitables dans un marché mondialisé et ultra-concurrentiel. Mais cela implique des effets sur la santé physique et mentale des salariés, avec un coût humain, social et économique.

- Q: La recherche d'un équilibre est donc devenu impossible ?

- Nader Barzin: J'ai participé récemment à une journée de benchmarking sur les risques psychosociaux dans les grandes entreprises françaises. Il est intéressant de noter que malgré les mêmes pressions et la même concurrence, certaines entreprises arrivent néanmoins à gérer ces questions avec davantage de succès.
Mais d'abord voici quelques chiffres récents : d'après l'Agence européenne de Santé et de Sécurité au Travail, en 2009, le stress était le second problème de santé le plus répandu dans le milieu du travail après les troubles musculo-squelettiques. Et un quart des salariés en Europe seraient stressés. Cela serait la cause de 60% de l'absentéisme. Cela vous donne un aperçu du coût du phénomène que ce soit pour le salarié, l'entreprise ou la société. Or 70% des Français considèrent que leur entreprise ne fait pas assez pour réduire le stress. Vous voyez le paradoxe ? Cela signifie que d'un coté on impose une pression pour être efficace -- et donc concurrentiel-- mais que par l'ampleur même de cette pression, cette efficacité ne peut être atteinte. Par conséquent, le rôle du sociologue et psychanalyste organisationnel devient évident.

- Q: Vous voulez donc, Pr Barzin, dire qu'il est possible d'y remédier?

- Nader Barzin: J'ose espérer qu'une grande partie du problème est traitable. Je pense aussi que les entreprises sont conscientes de la nécessité d'"investir" pour gérer ce problème car les dépenses pour traiter le problème sont moindre que le coût qu'il engendre. Pour vous donner une réponse schématique, les causes sont liées à l'organisation du travail, mais aussi à des "liens sociaux" que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise. Une approche réussie doit nécessairement prendre en considération ces deux aspects, c'est-à-dire l'humain et l'organisationnel. Les causes sont multi-factorielles et à l'intersection des dimensions individuelles, collectives et organisationnelles de l'activité professionnelle.

- Q: Et plus concrètement ?

- Nader Barzin: Que signifie le stress ? D'après la définition de l'accord national inter-professionnel de 2008, un état de stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et ses propres ressources pour y faire face... Autrement dit, le stress est une ressource à chaque fois qu'un individu doit s'adapter un nouvel environnement. Ce qu'il importe de comprendre, c'est dans quelles circonstances cette ressource devient une pathologie. Pour aller vite, dans les cas où l'individu ne dispose pas de suffisamment de ressources -- techniques et affectives -- pour faire face à l'adaptation nécessaire. La souffrance au travail peut être liée à l'absence de reconnaissance, à un ressenti négatif du travail ou à une inadéquation entre les moyens alloués et les objectifs à réaliser, la contribution et la rétribution, les exigences du travail et les compétences attendues. La responsabilité de l'organisation est de pallier à ces manquements. Mais pour cela, il faut dépasser la rationalité limitée des acteurs. Sinon, du coté de l'individu, les réponses ("les stratégies") peuvent être de l'ordre de la somatisation, recours à des substances, absentéisme, ... ou la sortie temporaire ou permanente du monde du travail.

- Q: Si je vous suis bien, Nader Barzin, la "réponse" de l'acteur ne peut être que de l'ordre pathologique ?

- Nader Barzin: Précisons, pour l'individu qui ne dispose pas des moyens adéquates, mis à part la stratégie de sortie, la seule possibilité est le recours à une pathologie "protectrice" ; c'est là où il est important pour l'organisation d'intervenir avant que la pathologie se déclenche. Car dans le cas contraire, elle a déjà payé le coût de l'inefficacité, de l'incapacité d'être concurrentiel, et doit parfois même assumer le coût de l'absentéisme, des pathologies, et plus grave encore, la contagion de ces phénomènes. Vous savez, Savage en 1892 avait déjà introduit le concept de "suicide altruiste", terme qui sera attribué à Durkheim à partir de 1960.


- Q: Vous aviez mentionné des bonnes pratiques dans certaines entreprises.

- Nader Barzin: Nous avons déjà établi que la santé de l'employé participe à l'efficacité de l'entreprise, par ses coûts directs et indirects. L'organisation du travail doit donc prendre ce facteur en considération. Différentes entreprises ont abordé cette question de manières nécessairement différentes car l'activité, la culture, et l'environnement de chaque entreprise sont différents. Certaines entreprises tendent à favoriser le bien être corporel de leurs employés, allant jusqu'à créer des centres sportifs au sein de l'entreprise. Elles tentent de lier ce bien être corporel au bien être dans son activité professionnelle en essayant de rétablir ainsi l'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Elles admettent que le salarié doit être personnellement pris en compte ; qu'un environnement agréable et sécurisant peut contribuer au bien être des salariés. Comme je l'ai déjà dit, les facteurs de tension dans le travail sont liés à la nature du travail, à la politique des ressources humaines, à des relations de travail, à des facteurs organisationnels, et à la façon dont les acteurs perçoivent le changement.

- Q: Y-a-t-il d'autres exemples de pratique ?

- Nader Barzin: Tout à fait mais il est difficile d'en parler en termes généraux. Dans une entreprise de service où les salariés sont en contact direct avec le grand public, les formes de violence subies sont nécessairement différentes que dans une entreprise qui gère des centrales électriques. C'est pour cela qu'il convient de séparer les facteurs organisationnels de la violence et l'agressivité qu'elles soient internes ou externes. Dans les deux cas il peut y avoir un mélange de comportement abusif, menace, attaque... Concernant la dimension organisationnelle, le contenu de l'activité, l'objectif, nature et la charge de travail, les horaires, la pénibilité, la complexité, ... sont des dimensions qui peuvent être prises en compte.

- Q: Et plus spécifiquement ?

- Nader Barzin: Par exemple, l'évaluation des performances, la rémunération, la reconnaissance... sont des facteurs potentiels de tension dûs à la politique des ressources humaines. Mais la circulation de l'information, une bonnes utilisation des outils de communication, la promotion de la dimension relationnelle pour favoriser le "maintien" de l'humain dans l'entreprise peuvent contribuer à améliorer la qualité de la vie au travail. Quand on fait participer les salariés aux décisions, non seulement il y a davantage de motivation, mais le stress est moindre également car l'individu sait pourquoi il fait ce qu'on lui demande de faire et il peut le faire de la meilleure manière possible. Aussi responsabiliser le salarié c'est lui faire confiance, reconnaître les initiatives personnelles et finalement tirer profit de cet énorme potentiel humain qui existe dans l'entreprise. Cela veut dire utiliser chaque ressource humaine comme une ressource intelligente et pas simplement comme un instrument d'exécution.

- Q: Donc le management participatif et la reconnaissance ?

- Nader Barzin: Oui, en quelque sorte. Mais il faut que cette reconnaissance soit authentique et fondée sur la reconnaissance de la personne, un acte d'appréciation et de jugement, une pratique régulière et journalière et non pas quelque chose qui arrive une fois par an à l'occasion de l'évaluation. C'est comme cela que ça peut devenir une rétribution symbolique concrète et affective. C'est reconnaître la personne autant que son travail, son comportement, ses compétences, ses qualités professionnelles. C'est reconnaître l'investissement qu'il fait dans son travail, les efforts qu'il consacre pour atteindre ses objectifs, et reconnaître les résultats qu'il obtient.

- Q: Il faut donc une reconnaissance de qualité ?

- Nader Barzin: Il faut surtout que cela soit sincère, dans l'immédiateté, fait par le supérieur hiérarchique qui connaît le métier et qui a la légitimité pour évaluer. Mais encore une fois, il y a surtout besoin d'une cohérence ("alignment") entre des différents composants du système de management. C'est à dire qu'il ne faut pas oublier de décliner la stratégie de l'entreprise dans des actions concrètes pour chaque individu, que les moyens organisationnels et techniques soient mis à disposition et que l'évaluation puisse prendre tous ces facteurs en considération. C'est là que le management assume pleinement son rôle.