dimanche 28 mars 2010

Quelle approche psychanalytique en entreprise?

L’approche psychanalytique est tout à fait utilisable – et peut être même de plus en plus indispensable – pour une compréhension plus profonde de certains phénomènes dans les organisations modernes. Les suicides récents au sein des entreprises françaises montrent l’intérêt de l’utilisation d’une approche psychanalytique pour comprendre et réduire ce phénomène. Gary Hamel de la Harvard Business School pense que nous ne possédons pas de données suffisantes pour déterminer si le taux de suicide au travail est plus important qu’ailleurs. Cependant cet argument est insuffisant pour écarter le fait que l’entreprise peut affecter une telle décision et d’être au retour affecté par un tel acte. La couverture médiatique des suicides et les « avantages » que cela procurerait aux salariés survivants pourraient, si l’on suit le raisonnement de Durkheim (Le Suicide, 1897) et de Mauss (Essai sur le don, 1924), augmenter le nombre de suicides au sein des entreprises – tout au moins jusqu'à un certain point, une sorte d’équilibre de Nash si nous n’étions concernés que par les facteurs conscients. Or, le postulat de base de la psychanalyse est notamment l’existence et l’importance de l’inconscient. Durkheim n’était pas le premier à utiliser la notion de suicide « altruiste ». Avant lui Savage avait identifié le phénomène quelques années avant (1892). Cette forme de suicide s’oppose au « suicide égoïste » qui serait, d’après Durkheim motivé par des raisons psychiques personnelles : « [ce] type de suicide se distingue … par caractère d'une individuation trop rudimentaire... la société … tient [l’individu] trop sous sa dépendance... sur certains points nous voyons l’individu aspirer à se dépouiller de son être personnel pour s’abîmer dans cette autre chose qu’il regarde comme une véritable essence ». Cette situation où « le Moi ne s’appartient pas », cet « état d’impersonnalité » caractérise pour Durkheim les peuples « primitifs », ce qui est étrange c’est le recours à la même stratégie par des sujets de l’hyper-modernité. C’est l’intentionnalité de se sacrifier qui prévaut. Mais les aspects égoïste et altruiste d’un suicide ne peuvent-ils pas être présents chez le même individu ? La difficulté de l'individu – pour quelques raisons que ce soit – à assurer sa survie psychique peut être renforcée par un deuxième facteur qui est l’avantage que son acte pourrait procurer pour les autres. Si l’on accepte une telle éventualité – que le suicide puisse constituer un « don » à une communauté imaginaire – et si l’on prend en considération les évolutions récentes d’équilibre de pouvoir dans les entreprises françaises, le lien peut devenir plausible. Le Figaro du 26 mars 2010 rapporte que « le patronat admet que des modes de management ou de fonctionnement de l'entreprise peuvent être en cause ».

L’approche outre-Atlantique de la psychanalyse en organisation s’était pendant quelques décennies focalisé sur les relations entre supérieur et subordonné, le leadership et l'exercice du pouvoir, et leurs dysfonctionnements. L' « adaptation » et le « développement » tant au niveau des individus que des organisations était favorisé. La psychanalyse française avait l’intention d’utiliser, d’après Hofmann et List (1994), les organisations comme un vecteur de changement social et afin de renforcer la position des salariés vis à vis de la direction. Les développements tout récents montrent que paradoxalement la psychanalyse en France pourrait même être un vecteur de stabilité et de développement pour les entreprises à l’heure actuelle.

vendredi 8 janvier 2010

Dépression et état limite

Au fur et à mesure que la question de la responsabilité pénale des entreprises est engagée dans le cas des suicides au travail, les parties concernées vont être amenées à confronter les facteurs responsables du suicide. D’un coté on argumentera que c’est le sujet qui avait en lui et de par sa structure, le germe du suicide – comme dans le cas de certaines mélancolies. De l’autre, les parties vont argumenter que c’est une situation où un environnement défavorable est à l’origine de la « décompensation » qui donne lieu à un passage à l’acte suicidaire. L’enjeu est important car, au Japon par exemple, dans le cas des « Karôshi » (une maladie connue en Europe et au Etats-Unis mais redéfinie par les japonais, une mort subite par accident vasculaire cérébrale ou cardiaque) la législation oblige l’employeur à indemniser les familles des victimes. Bien qu’il soit impossible de trancher sur des cas hypothétiques, nous pouvons mener une réflexion autour de la dépression et état-limite.

La dépression est trans-osographique et pas liée à une psychopathologie précise, à l’image de la toxicomanie par exemple. Il existe un tableau sémiologique de la dépression, mais non pas un tableau nosographique. Des psychopathologies précises ne produisent pas systématiquement des dépressions. Pour aborder le cas précis de la dépression chez les états limites, rappelons que cela se caractérise par le polymorphisme des troubles ou bien une instabilité des troubles. L’Organisation limite est une conception entre les organisations psychotiques et névrotiques. Parmi les éléments qui existent chez les sujets limites, on peut citer le narcissisme, les carences narcissiques, ainsi que des dimensions névrotiques qui permettent d’aborder le patient état limite sur un versant obsessionnel, ou hystérique.

Dans le traitement des catégories vaste et labiles des états limites, le paradigme névrotique ne disparait donc pas totalement. Cela a une implication importante pour la psychothérapie ou l’analyse de ces patients: le fait que toute une dimension narcissique est aussi présente chez les états limites.

Dans les fonctionnements limites, les patients peuvent être touchés par des angoisses que l’on rencontre plus généralement chez les psychotiques : angoisse d’annihilation, angoisse de désintégration, angoisse d’effondrement… Otto Kernberg a précisé la différence entre une personnalité limite et une personnalité narcissique, en distinguant les modalités pulsionnelles et les modalités narcissiques. Mais cela n’a pas d’impact réel du point de vue du traitement. La personnalité narcissique est mieux adaptée en apparence socialement et moins fragile que la personnalité limite, chez qui une faille narcissique est présente. Dans la prise en charge des fonctionnements limites il ne faut pas oublier la dynamique propre au sexuel, c'est-à-dire qui relève d’un paradigme névrotique. Même s’il existe des angoisses proches des angoisses de types psychotiques – et non pas seulement d’angoisses de castration.

Jacobson et Bergeret ont fait de la dépression un syndrome, qui qualifie les états limites. Pour ces deux auteurs la dépression serait intrinsèquement présente dans les états limites. Cependant cela est une manière de penser les choses plutôt que de lier la dépression à l’état limite. Il n’est pas indéniable que la dépression puisse exister chez l’état limite, mais en même temps la dépression est plus vaste, et on ne pourrait pas la limiter au lien états limite égale dépression.

Dans les dépressions état limite, les actes, le narcissisme, la pulsion sexuelle, l’Œdipe, les angoisses, la relation à l’objet, (la question de la perte) sont aussi présentes, l’excès d’un lien d’amour ou d’un lien de haine. La pulsion de destruction, la relation à l’environnement sont aussi au cœur des questions de la dépression. Dans les dépressions état limite, il y a bien sûr la question du Moi et des identifications. Du coté de la relation d’objet, en plus de la relation à l’environnement, il y a généralement la question des relations précoces. La dépression peut ainsi exister chez le bébé aussi bien que chez l’adulte qui a été un bébé déprimé. En général la mère a été dans une indisponibilité psychique, car déprimée, et n’a pas pu ainsi être dans une préoccupation maternelle, une empathie suffisante.

Pour reprendre l’élaboration de Winnicott, elle n’a pas été là pour servir de miroir à son enfant et être ainsi support d’identifications ultérieures. La mère déprimée, ou la mère qui souffre de discontinuité psychique, peut simplement oublier son bébé. Psychiquement, ces mères ne sont plus là, pour soigner le bébé, elles l’oublient simplement. Pour d’autres bébés il peut y avoir une mère morte au sens d’André Green. Mais aussi il peut y avoir une mère disparue, une mère décédée précocement… Dans ces situations l’absence, la privation, la carence est réelle. Dans d’autres cas la mère peut être en apparence là et psychiquement absente ; ce qui aboutit pratiquement aux mêmes effets pour l’enfant. Dans la plupart du temps cela passe inaperçu. Bien qu’on est confronté à des mères mortes, temporairement mortes.

Karl Abraham, est un de ceux qui a interrogé la dépression mélancolique. Il s’agit pour lui de la folie maniaco-dépressive. Il écrit dans les œuvres complètes tome 1 : « Préliminaires à l’investigation et au traitement psychanalytique de la folie maniaco-dépressive et des états voisins ». La théorisation d’Abraham concerne un repérage de la dépression qui fait partie de ce qu’aujourd’hui on appellerait la PMD. Bien que lui même ne la traite pas ainsi. Il dit qu’il existe autant de dépressions que de formes de névroses et de psychoses, et la dépression est aussi répandue que l’angoisse. De cette façon, la dépression est re-située non pas comme une sémiologie psychiatrique, mais comme un équivalent d’angoisse c'est-à-dire un évènement de la vie psychique. A partir de là, il s’intéresse à la pathologie, dans ce qu’il rencontre dans sa clinique de tous les jours. Ainsi il distingue la dépression névrotique, qui relie aux névroses d’angoisses d’ailleurs – où le refoulement est présent. C’est une dépression qui relève du modèle des névroses d’angoisses, c’est à dire des névroses actuelles pour Freud. Dans ce cas il y a deux refoulements. Les motifs de la dépression ne sont pas connus d’une manière consciente. Abraham remarque que l’angoisse et la dépression seraient dans une relation analogue à la peur et au deuil : « il y a entre l’angoisse et la dépression une relation analogue à ce qui existe entre la peur et le deuil ». Ainsi il met en relation la peur et le deuil d’un coté, l’angoisse et la dépression de l’autre (voir le texte de Freud « Deuil et mélancolie »). Pour lui il y a une équivalence : là où il y a de la peur chez le sujet normal, il y a de l’angoisse chez le sujet dépressif, et là où chez le sujet normal il y a du deuil, il y a de la dépression chez le sujet pathologique.

Abraham fait le lien mais sans perdre de vue que peur et angoisse sont là pris comme une continuité et non pas vraiment distingués. La peur ou angoisse ce sont pour lui plutôt des degrés. En ce qui concerne la dépression névrotique, il le relie avec une insatisfaction et un conflit pulsionnel. Ce conflit pulsionnel, l’insatisfaction que rencontre une pulsion, dans la vie du névrosé, insatisfaction consécutives aux effets du refoulement, va rendre le névrosé déprimé, incapable d’aimer et d’être aimer. C'est-à-dire qu’angoisse et dépression vont aboutir à un trouble de la relation d’objet, en terme d’une incapacité d’aimer et d’être aimé.

Ceci s’entend dans la plainte de certains patients déprimés. Le déprimé névrotique ne se rend pas compte qu’il s’interdit de vivre. Vient ensuite une seconde forme de dépression, la dépression des psychoses, ce qu’Abraham rencontre à travers des cas cliniques. Certains sont des PMD, une appellation de nos jours mais qu’à l’époque on n’appelait pas ainsi. D’autres sont seulement des épisodes de dépressions répétitifs. Il y a un épisode dépressif, puis ça va, puis un autre épisode de dépression. Pour lui typiquement un cas de mélancolie. Il regroupe tous ceux là ensemble, ce qui est inédit et qui ne va pas dans le même sens que les thèses de Kraepelin, même s’il ne manque pas de mentionner Kraepelin. Il remarque un cas de dépression qui l’intéresse aussi, des catégories des dépressions graves, c’est la dépression de la cinquantaine. Il l’ajoute, justement au tableau nosographique de Kraepelin. Et là, après nous avoir fait un tableau de la dépression de la cinquantaine, ce qui n’est surement pas psychotique ! Mais cet âge vient de façon pas inintéressante, à un moment où il y a bien de transformations chez la femme : des transformations physiques, à l’image d’une nouvelle adolescence. Une période particulièrement propice aux dépressions. Après avoir fait un portrait de patients, Abraham nous dit qu’ils sont globalement dans le registre de la psychose et fait l’analogie avec la névrose obsessionnelle.

Autant les dépressions névrotiques étaient pour lui reliées à l’angoisse, autant, les dépressions psychotiques sont liées à la névrose obsessionnelle. Donc il ne cède pas sur le paradigme névrotique de la prise en charge des patients. La capacité d’amour réduite, et la question de la haine, qui paraissent liée à la névrose obsessionnelle. Il n’assimile pas la névrose obsessionnelle, et la dépression psychoses maniaco-dépressive et la mélancolie. Mais ce qui lui permet de travailler avec les patients en dépressions graves, c’est le paradigme obsessionnel.

Fédida était aussi un des premiers analystes à traiter les dépressions graves en utilisant le paradigme du traitement de la névrose de contrainte ou obsessionnelle. Sa thèse c’est qu’il y du refoulement même dans les dépressions très grave mais ce refoulement concerne cette fois, la dimension sadique anale. Cette dimension sadique anale de la libido qui est refoulée. En même temps l’hostilité et la haine, à la fois dans la névrose obsessionnelle et chez le patient déprimé sont aussi refoulées. Il retrouve dans l’enfance d’un patient des actes impulsifs, des violences, également une tendance à s’isoler, ce qu’il lie à des difficultés relationnelles précoces. On remarque également une relation douloureuse avec un père méprisant, avec un maitre cruel, qui vont précéder la mise en place d’un épisode dépressif puis de deux …

Une piste ouverte par Winnicott, c’est quelqu’un qui existe en tant que disparu. Quelqu’un chez qui la disparition est une façon d’être. Cela est très fréquent au niveau de l’identité, mais aussi à celui du narcissisme originaire ; une difficulté d’être que l’on rencontre souvent chez les dépressifs. Non pas comme un symptôme mais presque comme un trait de caractère.

Il ne faut pas confondre la disparition avec le suicide mélancolique. Il y a des aspects destructeurs qui se traduisent par des ruminations suicidaires voire parfois des actes suicidaires. Ce qui est typiquement mélancolique, mais la disparition est une façon d’être où l’hallucination négative n’est pas de l’autre mais de soit. Il y a une hallucination négative de soi, être dans la disparition, être disparu, « être sans être » dirait Cocteau. C’est plus fort que de s’annuler ; une façon d’être en négatif. Dans la vie cela peut se traduire – parce que cela ne fait pas mourir – de deux façons : il y a des patients qui vont se rêver comme dans les contes où il y a quelque chose, comme le petit cordonnier qui peut se rendre transparent.

Cela reprend la thématique de l’hallucination négative chez Freud. La définition qu’il donne de l’hallucination négative, c’est d’être transparent comme l’air, sauf que Freud en parle par rapport à l’hallucination positive, là où le bébé hallucine l’objet qu’il désire, là où le rêve hallucine des images de désir. Dans l’hallucination négative il n’y aura rien, c’est une hallucination d’absence, ce que l’on retrouve là où le bébé pourrait halluciner l’objet de son désir, le biberon, le sein, les bras, et bien l’hallucination négative va remplacer cela par rien, là où c’est positif, un bébé qui a, que l’on fait attendre, on le fait attendre parce qu’il a faim, il est capable durant un temps de réclamer, mais aussi de se satisfaire de façon hallucinatoire. Il peut imaginer comme un rêve en vrai, ce qui l’attend, ça lui permet d’attendre un peu, si on le fait attendre trop longtemps. Piera Aulagnier décrit cela très bien : il ne peut plus halluciner de façon positive, ça ne marche pas. Il se passerait quelque chose, comme croiser quelqu’un dans la rue que vous ne connaissez pas, c’est une façon d’absentéiser l’objet qui ne peut pas être satisfaisant. Donc effectivement on peut penser que ce bébé peut se schizer au point de n’avoir plus rien, mais avant d’avoir plus rien, il va commencer par se nourrir de rien, il va commencer par halluciner du rien, c'est-à-dire au lieu d’halluciner ce qui l’attend, le biberon il va halluciner rien, il y a encore de l’hallucination, ça se trouve chez les anorexiques par exemple, les anorexiques elles se nourrissent d’absence, elles se nourrissent de rien, mais il y a de l’hallucination. On n’en est pas au point du risque de mort, qui existe chez le bébé. Effectivement on connait des bébés qui sont en grande désaide, où on peut supposer des états comme ça chez des patients adultes qui en arrivent à ne plus halluciner. Entre les deux il y a cette capacité d’absentéiser l’objet insatisfaisant, il y a hallucination d’absence.

dimanche 3 janvier 2010

Quelques aspects de la depression

Une crise ou un événement ponctuel, peut donner lieu à une dépression. Même si on rencontre la dépression avec une certaine fréquence chez les états limites, la dépression n’est pas une caractéristique inébranlable des fonctionnements limites. Il existe des modalités nosographiques où la dépression est présente, comme la psychose et la névrose. On peut signaler une évolution de positionnement dans les diverses théories de la dépression. Il note aussi que même si le vital peut être atteint dans la dépression, il existe aussi un côté vivant et non pathologique de la dépression.

La question de la dépression est également présente là où cela touche à la « disparition de l’humain ». Ici on n’est plus au niveau de l’identité de l’individu mais au niveau d’un effacement que l’on trouve dans certaines formes de dépression, suite au décès d’un proche ou bien de la perte de l’emploi ou descendance sociale par exemple. La question a été bien développée par Fédida. Un autre aspect très particulier de la dépression concerne les formes de dépression où la sémiologie classique de la dépression est mise en déroute, ce sont plutôt des formes persécutées, des passages à l’acte, des agissements délinquants, des troubles du caractère, d’autre choses que l’inhibition et l’apparente tristesse.

Concernant ces formes de dépression – les dépressions dissipées – différents universitaires se sont focalisés sur différents aspects de la dépression, à travers, l’axe où la persécution – et cela ne veut pas dire la paranoïa, mais là où des modalités d’agir peuvent éventuellement être présentes – et l’autre axe où le symptôme somatique fait son apparition. Ce sont deux axes où la dépression n’est pas visible en tant que telle. On peut signaler l’existence d’un autre axe qui est la dépression et la mélancolie, rappelant que les travaux de Catherine Chabert sont très importants pour cette catégorie, ainsi que ceux de Fédida.

Dans les cas des fonctionnements limites, il est important de pouvoir conceptualiser, comment le Moi, l’identité moïque et le self – qu'il convient de distinguer de l’identité moïque – peuvent se trouver fluctuer et présenter des incertitudes de l’identité dans les différentes formes de dépressions : mélancolie, dépression classique, formes persécutés ou somatisation de la dépression. Ces variétés de la dépression font partie des fonctionnements limites, mais c’est plutôt du côté de la question d’une incertitude identitaire que l'on voit certaines choses… Cette incertitude peut aussi se traduire parfois par le contraire apparent : dans certains cas de sur-adaptation en faux-self, en particulier sur l’axe des dépressions à formes persécutées.

On peut trouver des formes d’adaptation en faux-self qui vont donner lieu à un dysfonctionnement sur le mode dépressif. Mais l’aspect important c’est qu’il existe des liens dans des modalités de traitement psychothérapeutique et psychanalytique. Les dépressions ne sont pas les mêmes mais il existe des liens entre différents modes de dépressions – que ce soit avec ou sans pathologie – qui peuvent nous guider dans les réponses, y compris dans l’usage des antidépresseurs par exemple. On peut donc poser la question suivante : est ce que l’usage d’antidépresseurs est toujours justifié pour « traiter » ou masquer les dépressions ? Le traitement médical est-il toujours adapté ? Ou bien parfois cela risque même d’empêcher le patient de chercher une solution thérapeutique qui pourrait éliminer la source de la dépression. A ce propos, voici le cas d’une femme d’une quarantaine d’années qui depuis une douzaine d’années prends des antidépresseurs. La question qui se pose est autour de la structure de cette patiente, relations précoces, des événements de vie qui ont déclenché la dépression, et l’utilité de l’usage de médicaments, et l’alternative d’une thérapie analytique qui aurait pu aider la patiente à réécrire son histoire et donc en quelque sorte éliminer les éléments responsables de la dépression. Cependant il n’y pas de réponse univoque, aucun cas n’est pareil.

Concernant la question de la prise d’antidépresseurs, ce qui suppose une nuance assez fine, la question est abordée par Fédida et Widlöcher, dans leurs écrits sur la dépression. Au niveau des questions identitaires, je préconise la lecture de La nature humaine à l’épreuve de Winnicott de Jacques André. Dans cet ouvrage, Cyssau a bien clarifié la notion de self chez Winnicott, ainsi que la question du lien entre le self et la dépression, tel que Winnicott l’avait abordé. Les fonctionnements limites ont posé des limites entre névrose, psychose et perversion, avec lesquelles la psychiatrie et la psychanalyse fonctionnaient. Et les dépressions se trouvent dans toutes les catégories nosographiques, pour la psychopathologie. Cependant il faut poser la question du normal et du pathologique, la dépression n’est pas toujours pathologique, elle peut être un trait de santé.

Pour Fédida, il y a des bienfaits de la dépression et c’est une qualité de l’analyste de reconnaitre cela. Là on est dans la frontière entre la « pathologie » et aussi dans le fonctionnement psychique « normal » et une perméabilité entre les frontières entre névrose et psychose, déstabilisées par cette mutation de la dépression. Or la dépression c’est le terme générique de la pathologie que l’on utilise souvent pour ce qui n’est pas pathologique. Mais comment peut-on nommer alors des figures dépressives, psychologiquement, et non pas « psycho-pathologiquement » ? Sa réponse est la suivante : dans la déception on est davantage dans des modalités dépressives quant elles apparaissent sous la forme névrotiques. Dans le désespoir le fonctionnement est moins névrotique. Dans la détresse la question est moins claire. Dans l’inquiétant on est plus dans le registre de la psychose, du côté de la psychose dans les formes persécutées ou mélancoliques. Dans la perte il faut voir s’il s’agit d’un deuil non-effectué, une perte de l’objet ? Une perte plus archaïque comme Mélanie Klein la décrit quand la position dépressive n’est pas acquise et telle qu’on peut la rencontrer dans la mélancolie la plus classique, dans les psychoses-maniaco-dépressives. Dans l’abandon, les patients manifestent des modalités dépressives diverses,… se sentir abandonné n’est pas la même chose qu’être désespéré ou se sentir seul.

La solitude peut ne pas être pathologique ou peut l’être. Je pense ici à des modalités dépressives que l’on rencontre dans les pathologies sociales d’errance ayant un versant économique ou pas, et aussi dans ce que l’on rencontre plus souvent ces jours ci dans les pathologies d’errance ou de désinsertion, qui peuvent avoir des figures d’abandon, de solitude, de désespoir, qui seront différentes d’autres domaines. La capacité d’être seul, ce n’est pas la même chose que la solitude dans l’errance. Ne pas pouvoir être seul en présence de quelqu’un, tel que Winnicott le décrit à propos des enfants en montrant combien ça peut être important avec certains patients de leur permettre d’être seul en notre présence, au cours d’un traitement, d’une analyse ou d’une thérapie. Ceci n’est pas identique à ce qui se passe chez des patients qui se confrontent à l’extrême de la solitude. Rappelons que la mort fait aussi partie de ce que l’on rencontre, avec les risques suicidaires présents dans la dépression. Voici à ce propos le cas d’un jeune artiste Autrichien et son suicide suite à un épisode dépressif. Le patient avait cherché l’aide psychologique, mais était tombé sur des praticiens cognitivo-comportemental et une thérapie de groupe. Sa première tentative était la bonne. Avant son passage à l’acte, il n’avait nullement évoqué la possibilité d’un tel acte, mais il semblait bien détaché. Ce sont des images et des figures qui font partie des mots et du langage utilisés par les personnes qui ne savent pas qu’elles sont déprimées. Souvent ils disent quelque chose d’une souffrance de cet ordre. C’est là que le rôle du thérapeute est primordiale pour détecter ces symptômes, dont les patients eux mêmes ne sont pas conscients. C’est là que les coaches et d’autres catégories d’« accompagnateurs » peuvent se trouver face à des risques qu’ils ne sont pas formés pour détecter ou traiter.

Pour finir, je poserais la question du Self : question qui complique, car déjà nous sommes face au Moi, les pulsions, … pourquoi faut-il introduire la question du Self « a-t-on besoin d’être anglo-saxon » ? Winnicott a été présent dans la réflexion sur les dépressions. Même chez Fédida, cette notion est très présente, bien qu’il ne cite pas Winnicott. Et chez ces deux figures de la psychanalyse, la question de Self a été présente, y compris dans la construction de la question de la dépression. La question du Self est intéressante car elle nous permet d’être à la fois sur l’axe du lien, d’un lien qui n’est pas forcément un lien à l’objet mais plutôt un lien à l’environnement. L’environnement n’est pas l’objet, c’est un milieu ambiant. On peut se demander si dans les conduites d’errance, ce n’est pas une solitude à l’égard de l’objet dont il est question mais c’est une désinsertion de l’environnement qui renvoie à ce milieu maternel. Ce n’est pas la mère en tant qu’objet qui est utilisée, par Winnicott, qui contribue avec le pulsionnel à la maturation du Self. La maturation du Self, qui n’est pas le Moi, se nourrit de la vie pulsionnelle, mais est en échange avec l’environnement et non pas en interrelation. Dans les dépressions, cette question est aussi présente après K. Abraham, dans la théorie de Pierre Marty : De la dépression essentielle qui est aussi mise en dialogue avec cette question. Il en parle du coté du pulsionnel mais il est aussi possible de le reprendre sous l’aspect du Self, du pulsionnel et de l’environnement.

A propos de la dépression, on peut soulèver la question de l’introjection et de la projection. Dans la dépression très névrotique, on est à des niveaux de représentation, mais quand on est dans des modalités de dépressions plus « limites », les modalités de rétablissement d’une introjection possible, via une projection dans la prise en charge de ces patients, sont des éléments importants. Comme repères théoriques, plus classiques, il y a la question des positions dépressive et schizo-paranoïde pour Mélanie Klein. Comment va-t-on rencontrer ces positions dans la prise en charge des patients dépressifs et comment cela va se traduire dans des modalités plus primitives que simplement la mise en jeu des représentations au niveau de l’introjection et de la projection et donc de la modification des identifications qui s’en suivront.

Ces questions ne se situent pas au niveau de la pathologie des dépressions mais au niveau de la prise en charge psychothérapique et analytique des patients déprimés. Il y a deux conceptions de la dépression-pathologie, d’une part certains auteurs comme Jacobson ainsi que Bergeret, se situent du côté de la dépression conçue comme le symptôme primordial des états limites, d’autres pensent une unicité trans-nosographique des dépressions dans leur forme classique ou dans leur forme état limite, comme Wildlöcher et Fédida.