dimanche 28 mars 2010

Quelle approche psychanalytique en entreprise?

L’approche psychanalytique est tout à fait utilisable – et peut être même de plus en plus indispensable – pour une compréhension plus profonde de certains phénomènes dans les organisations modernes. Les suicides récents au sein des entreprises françaises montrent l’intérêt de l’utilisation d’une approche psychanalytique pour comprendre et réduire ce phénomène. Gary Hamel de la Harvard Business School pense que nous ne possédons pas de données suffisantes pour déterminer si le taux de suicide au travail est plus important qu’ailleurs. Cependant cet argument est insuffisant pour écarter le fait que l’entreprise peut affecter une telle décision et d’être au retour affecté par un tel acte. La couverture médiatique des suicides et les « avantages » que cela procurerait aux salariés survivants pourraient, si l’on suit le raisonnement de Durkheim (Le Suicide, 1897) et de Mauss (Essai sur le don, 1924), augmenter le nombre de suicides au sein des entreprises – tout au moins jusqu'à un certain point, une sorte d’équilibre de Nash si nous n’étions concernés que par les facteurs conscients. Or, le postulat de base de la psychanalyse est notamment l’existence et l’importance de l’inconscient. Durkheim n’était pas le premier à utiliser la notion de suicide « altruiste ». Avant lui Savage avait identifié le phénomène quelques années avant (1892). Cette forme de suicide s’oppose au « suicide égoïste » qui serait, d’après Durkheim motivé par des raisons psychiques personnelles : « [ce] type de suicide se distingue … par caractère d'une individuation trop rudimentaire... la société … tient [l’individu] trop sous sa dépendance... sur certains points nous voyons l’individu aspirer à se dépouiller de son être personnel pour s’abîmer dans cette autre chose qu’il regarde comme une véritable essence ». Cette situation où « le Moi ne s’appartient pas », cet « état d’impersonnalité » caractérise pour Durkheim les peuples « primitifs », ce qui est étrange c’est le recours à la même stratégie par des sujets de l’hyper-modernité. C’est l’intentionnalité de se sacrifier qui prévaut. Mais les aspects égoïste et altruiste d’un suicide ne peuvent-ils pas être présents chez le même individu ? La difficulté de l'individu – pour quelques raisons que ce soit – à assurer sa survie psychique peut être renforcée par un deuxième facteur qui est l’avantage que son acte pourrait procurer pour les autres. Si l’on accepte une telle éventualité – que le suicide puisse constituer un « don » à une communauté imaginaire – et si l’on prend en considération les évolutions récentes d’équilibre de pouvoir dans les entreprises françaises, le lien peut devenir plausible. Le Figaro du 26 mars 2010 rapporte que « le patronat admet que des modes de management ou de fonctionnement de l'entreprise peuvent être en cause ».

L’approche outre-Atlantique de la psychanalyse en organisation s’était pendant quelques décennies focalisé sur les relations entre supérieur et subordonné, le leadership et l'exercice du pouvoir, et leurs dysfonctionnements. L' « adaptation » et le « développement » tant au niveau des individus que des organisations était favorisé. La psychanalyse française avait l’intention d’utiliser, d’après Hofmann et List (1994), les organisations comme un vecteur de changement social et afin de renforcer la position des salariés vis à vis de la direction. Les développements tout récents montrent que paradoxalement la psychanalyse en France pourrait même être un vecteur de stabilité et de développement pour les entreprises à l’heure actuelle.