dimanche 3 janvier 2010

Quelques aspects de la depression

Une crise ou un événement ponctuel, peut donner lieu à une dépression. Même si on rencontre la dépression avec une certaine fréquence chez les états limites, la dépression n’est pas une caractéristique inébranlable des fonctionnements limites. Il existe des modalités nosographiques où la dépression est présente, comme la psychose et la névrose. On peut signaler une évolution de positionnement dans les diverses théories de la dépression. Il note aussi que même si le vital peut être atteint dans la dépression, il existe aussi un côté vivant et non pathologique de la dépression.

La question de la dépression est également présente là où cela touche à la « disparition de l’humain ». Ici on n’est plus au niveau de l’identité de l’individu mais au niveau d’un effacement que l’on trouve dans certaines formes de dépression, suite au décès d’un proche ou bien de la perte de l’emploi ou descendance sociale par exemple. La question a été bien développée par Fédida. Un autre aspect très particulier de la dépression concerne les formes de dépression où la sémiologie classique de la dépression est mise en déroute, ce sont plutôt des formes persécutées, des passages à l’acte, des agissements délinquants, des troubles du caractère, d’autre choses que l’inhibition et l’apparente tristesse.

Concernant ces formes de dépression – les dépressions dissipées – différents universitaires se sont focalisés sur différents aspects de la dépression, à travers, l’axe où la persécution – et cela ne veut pas dire la paranoïa, mais là où des modalités d’agir peuvent éventuellement être présentes – et l’autre axe où le symptôme somatique fait son apparition. Ce sont deux axes où la dépression n’est pas visible en tant que telle. On peut signaler l’existence d’un autre axe qui est la dépression et la mélancolie, rappelant que les travaux de Catherine Chabert sont très importants pour cette catégorie, ainsi que ceux de Fédida.

Dans les cas des fonctionnements limites, il est important de pouvoir conceptualiser, comment le Moi, l’identité moïque et le self – qu'il convient de distinguer de l’identité moïque – peuvent se trouver fluctuer et présenter des incertitudes de l’identité dans les différentes formes de dépressions : mélancolie, dépression classique, formes persécutés ou somatisation de la dépression. Ces variétés de la dépression font partie des fonctionnements limites, mais c’est plutôt du côté de la question d’une incertitude identitaire que l'on voit certaines choses… Cette incertitude peut aussi se traduire parfois par le contraire apparent : dans certains cas de sur-adaptation en faux-self, en particulier sur l’axe des dépressions à formes persécutées.

On peut trouver des formes d’adaptation en faux-self qui vont donner lieu à un dysfonctionnement sur le mode dépressif. Mais l’aspect important c’est qu’il existe des liens dans des modalités de traitement psychothérapeutique et psychanalytique. Les dépressions ne sont pas les mêmes mais il existe des liens entre différents modes de dépressions – que ce soit avec ou sans pathologie – qui peuvent nous guider dans les réponses, y compris dans l’usage des antidépresseurs par exemple. On peut donc poser la question suivante : est ce que l’usage d’antidépresseurs est toujours justifié pour « traiter » ou masquer les dépressions ? Le traitement médical est-il toujours adapté ? Ou bien parfois cela risque même d’empêcher le patient de chercher une solution thérapeutique qui pourrait éliminer la source de la dépression. A ce propos, voici le cas d’une femme d’une quarantaine d’années qui depuis une douzaine d’années prends des antidépresseurs. La question qui se pose est autour de la structure de cette patiente, relations précoces, des événements de vie qui ont déclenché la dépression, et l’utilité de l’usage de médicaments, et l’alternative d’une thérapie analytique qui aurait pu aider la patiente à réécrire son histoire et donc en quelque sorte éliminer les éléments responsables de la dépression. Cependant il n’y pas de réponse univoque, aucun cas n’est pareil.

Concernant la question de la prise d’antidépresseurs, ce qui suppose une nuance assez fine, la question est abordée par Fédida et Widlöcher, dans leurs écrits sur la dépression. Au niveau des questions identitaires, je préconise la lecture de La nature humaine à l’épreuve de Winnicott de Jacques André. Dans cet ouvrage, Cyssau a bien clarifié la notion de self chez Winnicott, ainsi que la question du lien entre le self et la dépression, tel que Winnicott l’avait abordé. Les fonctionnements limites ont posé des limites entre névrose, psychose et perversion, avec lesquelles la psychiatrie et la psychanalyse fonctionnaient. Et les dépressions se trouvent dans toutes les catégories nosographiques, pour la psychopathologie. Cependant il faut poser la question du normal et du pathologique, la dépression n’est pas toujours pathologique, elle peut être un trait de santé.

Pour Fédida, il y a des bienfaits de la dépression et c’est une qualité de l’analyste de reconnaitre cela. Là on est dans la frontière entre la « pathologie » et aussi dans le fonctionnement psychique « normal » et une perméabilité entre les frontières entre névrose et psychose, déstabilisées par cette mutation de la dépression. Or la dépression c’est le terme générique de la pathologie que l’on utilise souvent pour ce qui n’est pas pathologique. Mais comment peut-on nommer alors des figures dépressives, psychologiquement, et non pas « psycho-pathologiquement » ? Sa réponse est la suivante : dans la déception on est davantage dans des modalités dépressives quant elles apparaissent sous la forme névrotiques. Dans le désespoir le fonctionnement est moins névrotique. Dans la détresse la question est moins claire. Dans l’inquiétant on est plus dans le registre de la psychose, du côté de la psychose dans les formes persécutées ou mélancoliques. Dans la perte il faut voir s’il s’agit d’un deuil non-effectué, une perte de l’objet ? Une perte plus archaïque comme Mélanie Klein la décrit quand la position dépressive n’est pas acquise et telle qu’on peut la rencontrer dans la mélancolie la plus classique, dans les psychoses-maniaco-dépressives. Dans l’abandon, les patients manifestent des modalités dépressives diverses,… se sentir abandonné n’est pas la même chose qu’être désespéré ou se sentir seul.

La solitude peut ne pas être pathologique ou peut l’être. Je pense ici à des modalités dépressives que l’on rencontre dans les pathologies sociales d’errance ayant un versant économique ou pas, et aussi dans ce que l’on rencontre plus souvent ces jours ci dans les pathologies d’errance ou de désinsertion, qui peuvent avoir des figures d’abandon, de solitude, de désespoir, qui seront différentes d’autres domaines. La capacité d’être seul, ce n’est pas la même chose que la solitude dans l’errance. Ne pas pouvoir être seul en présence de quelqu’un, tel que Winnicott le décrit à propos des enfants en montrant combien ça peut être important avec certains patients de leur permettre d’être seul en notre présence, au cours d’un traitement, d’une analyse ou d’une thérapie. Ceci n’est pas identique à ce qui se passe chez des patients qui se confrontent à l’extrême de la solitude. Rappelons que la mort fait aussi partie de ce que l’on rencontre, avec les risques suicidaires présents dans la dépression. Voici à ce propos le cas d’un jeune artiste Autrichien et son suicide suite à un épisode dépressif. Le patient avait cherché l’aide psychologique, mais était tombé sur des praticiens cognitivo-comportemental et une thérapie de groupe. Sa première tentative était la bonne. Avant son passage à l’acte, il n’avait nullement évoqué la possibilité d’un tel acte, mais il semblait bien détaché. Ce sont des images et des figures qui font partie des mots et du langage utilisés par les personnes qui ne savent pas qu’elles sont déprimées. Souvent ils disent quelque chose d’une souffrance de cet ordre. C’est là que le rôle du thérapeute est primordiale pour détecter ces symptômes, dont les patients eux mêmes ne sont pas conscients. C’est là que les coaches et d’autres catégories d’« accompagnateurs » peuvent se trouver face à des risques qu’ils ne sont pas formés pour détecter ou traiter.

Pour finir, je poserais la question du Self : question qui complique, car déjà nous sommes face au Moi, les pulsions, … pourquoi faut-il introduire la question du Self « a-t-on besoin d’être anglo-saxon » ? Winnicott a été présent dans la réflexion sur les dépressions. Même chez Fédida, cette notion est très présente, bien qu’il ne cite pas Winnicott. Et chez ces deux figures de la psychanalyse, la question de Self a été présente, y compris dans la construction de la question de la dépression. La question du Self est intéressante car elle nous permet d’être à la fois sur l’axe du lien, d’un lien qui n’est pas forcément un lien à l’objet mais plutôt un lien à l’environnement. L’environnement n’est pas l’objet, c’est un milieu ambiant. On peut se demander si dans les conduites d’errance, ce n’est pas une solitude à l’égard de l’objet dont il est question mais c’est une désinsertion de l’environnement qui renvoie à ce milieu maternel. Ce n’est pas la mère en tant qu’objet qui est utilisée, par Winnicott, qui contribue avec le pulsionnel à la maturation du Self. La maturation du Self, qui n’est pas le Moi, se nourrit de la vie pulsionnelle, mais est en échange avec l’environnement et non pas en interrelation. Dans les dépressions, cette question est aussi présente après K. Abraham, dans la théorie de Pierre Marty : De la dépression essentielle qui est aussi mise en dialogue avec cette question. Il en parle du coté du pulsionnel mais il est aussi possible de le reprendre sous l’aspect du Self, du pulsionnel et de l’environnement.

A propos de la dépression, on peut soulèver la question de l’introjection et de la projection. Dans la dépression très névrotique, on est à des niveaux de représentation, mais quand on est dans des modalités de dépressions plus « limites », les modalités de rétablissement d’une introjection possible, via une projection dans la prise en charge de ces patients, sont des éléments importants. Comme repères théoriques, plus classiques, il y a la question des positions dépressive et schizo-paranoïde pour Mélanie Klein. Comment va-t-on rencontrer ces positions dans la prise en charge des patients dépressifs et comment cela va se traduire dans des modalités plus primitives que simplement la mise en jeu des représentations au niveau de l’introjection et de la projection et donc de la modification des identifications qui s’en suivront.

Ces questions ne se situent pas au niveau de la pathologie des dépressions mais au niveau de la prise en charge psychothérapique et analytique des patients déprimés. Il y a deux conceptions de la dépression-pathologie, d’une part certains auteurs comme Jacobson ainsi que Bergeret, se situent du côté de la dépression conçue comme le symptôme primordial des états limites, d’autres pensent une unicité trans-nosographique des dépressions dans leur forme classique ou dans leur forme état limite, comme Wildlöcher et Fédida.

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